Divers
Manuel
Lui c'est Manuel...

Il a plus ou moins 20 ans, mais en fait, il pourrait tout aussi bien avoir 10, 15, 53 ou 62 ans. Il est Portugais, mais il pourrait aussi être Albanais, Suédois, Guinéen, Chinois ou Argentin.

Il vient d'Ailleurs. Et y'a des gens que ça dérange.


Elle c'est Lena...

Elle a le même âge que lui. Mais elle pourrait très bien être plus vieille ou plus jeune.

Elle est d'Ici. Elle accepte Manuel, elle accepte les Autres, ceux qui sont d'Ailleurs. Et y'a des gens que ça dérange aussi...


Mais il y a aussi ces Autres, ceux que ça dérangent..



Lena et Manuel, c'est vous et moi. C'est vous et l'Autre. C'est nous et celui d'En-Face.

Lena et Manuel, c'est l'histoire d'amour entre Ici et Ailleurs.

Ici et Ailleurs devraient devenir Ensemble.

C'est pas toujours le cas.

Dommage.
J'ai envie de dédier ce texte à tous ceux qui ont dû, pour une raison ou pour une autre, quitter leur pays, leur maison, leur chez-soi.

N'oubliez pas que, même s'il y aura toujours des Lisa, des Jenny ou des Maxime, il y a également partout des Lena...

Je vous souhaite à vous tous tout de bon et bon courage, et à tous bonne lecture.

NorvegianSam
Manuel
Lundi matin. 8h30. Je rêvasse, la tête posée sur le cahier de maths, comme la plupart de la classe. Le prof ne se rend compte de rien. Mais bon, lui s'en fout, comme il nous l'a dit et redit en début d'année, c'est pas lui qui doit assurer les notes, simplement le cours. Ce week-end, je suis allée voir mon cousin, il avait pris des copains avec lui, on a joué au foot, et je suis tombée amoureuse de son copain David. Vous vous en f...? Tant pis. J'ai aucune envie de travailler, encore moins des maths, je déteste ça.

On frappe à la porte. Voilà qui va rompre la monotonie de l'algèbre. Le directeur. Génial. Qui a collé les chewing-gums sous les chaises de la cantine? Qui a bousculé les femmes de ménage en courant dans les escaliers? La classe soupire, voilà une punition collective qui s'annonce… Le directeur s'avance, suivi de....Oh!...J'en ai le couffle soupé! Euh, le souffle coupé…! Le directeur est suivi d'une Apparition…Je ne vous mens pas! Une Apparition avec un A en triple majuscule! Un gars tellement beau que même Apollon peut aller se rhabiller!

Il est beau.

Beau à couper le souffle (la preuve…)

Bronzé.

Terriblement craquant.

Un dieu.

Ce mec, il est tellement beau que personne ne dort plus dans la classe et que même les mouches ont arrêté de voler. C'est grave. La situation est dramatique.

Le Directeur et le prof échangent quelques paroles, l'Apparition tente vainement de se cacher aux yeux inquisiteurs des filles de la classe…Tout le monde le fixe, le pauvre. J'aimerais tellement pas être à sa place, sauf pour ce qui est de la beauté évidemment. Parce que moi je déchire pas vraiment. J'ai les yeux bruns et les cheveux….Bref. Là n'est pas la question. Petit tour d'horizon. Toute la classe mate le type. Les filles, vous comprenez pourquoi (en tout cas moi je comprends) et les mecs pour…ceux-là, ils doivent se dire mille trucs sur l'Apparition! Ah! Les jaloux! …Le directeur s'en va. Le prof nous présente enfin l'Apparition.

- Bon, les jeunes, je vous présente votre nouveau camarade de classe, Manuel, qui vient de Lisbonne, au Portugal. Il ne parle pas très bien français, je compte sur vous pour l'intégrer!

"Pas de souci, mon gars!", j'ai envie de dire au prof. Ouh là là! Le niveau est grave! J'en ai presque oublié le copain de mon cousin (mais oui! celui dont je croyais être amoureuse!).

Le prof de math donne un petit coup dans le dos de Manuel, comme pour le pousser vers nous, le jeter dans la fosse aux lions…Il regarde autour de lui, un peu gêné, puis se dirige au fond de la classe et se pose à côté de moi, m'adressant un sourire à faire pâlir Apollon. Je lui souris aussi. Je suis toute gênée. Le cours de math, se dit certainement le prof, va enfin pouvoir continuer.

- Olà! (vive les vacances en Espagne!)
- Olà.
- Tu parles français.
- Naõ. Pas très bien.
- English?
- …

Je soupire. J'arrache une feuille de mon cahier de maths (il en manque déjà tellement). Dessus, je griffonne mon prénom. Je lui tends la feuille.

- Lena, c'est moi.
- Lena.
- Oui.
- Joli.
- Merci.

Là je sèche. Comment fait-on déjà pour entamer une conversation? Je le dévisage un instant, le temps de remarquer ses sombres yeux, et une légère cicatrice sur le front, vers la tempe….

- Tu as fait quoi là?
- ….

Je lui montre la cicatrice, effleurant légèrement sa peau…

- Là? T'as eu un accident?
- Bicicleta.
- Ok.

Je me replonge un instant dans mon livre d'algèbre…Manuel me regarde toujours. Je dois lui paraître bien curieuse. Il prend la feuille, griffonne quelques mots, et me la tend.

- Toi gentil
- Merci. Toi aussi.
- Non. Moi novo. Aluno novo.

On rit. La sonnerie retentit au même instant. C'est la délivrance. Comme à mon habitude, je me rue dehors dès la première sonnerie. Je déteste les maths, j'adore les pauses, je ne vais donc pas me gêner….Dans la cour, je retrouve mes amies, et bien sûr aujourd'hui, tant chez les mecs que chez les filles, le sujet de discussion est unique: Manuel.

Lisa et Jenny ont craqué. Mais bon, ces deux-là, elles craquent pour toutes les personnes de sexe masculin à partir du moment que ces personnes ont un semblant de charme.

- Hé dis donc, Lena, t'as la côte avec le nouveau toi!
- T'es stupide Lisa, c'est mon voisin….
- Ouais mais t'as vu comme il te regarde?
- Avec ses yeux.
- Arrête de te la jouer blonde Lena….il te couve du regard!
- Rien remarqué.
- N'empêche qu'il est sacrément beau, ce petit Portugais…., renchérit Jenny.
- Toi tu les trouves tous beaux les mecs, même Paul le boutonneux, lui lance Laura.

Eclat de rire général. Jenny, c'est la blonde du groupe. Plus naïve qu'elle tu meurs. Elle trouve beau tous les mecs parce que "faut pas être injuste avec ceux qui ont moins de charme"….Paul le boutonneux, il est sacrément boutonneux….Et pour le trouver beau, non sans vouloir être méchante, mais faut y aller….Ou faut s'appeler Jenny!

- Hé Lena! T'as qu'à l'inviter à dîner avec nous!
- Il va être mal à l'aise…et puis il a peut-être prévu de rentrer.
- T'oses pas?
- Je préfère l'épargner, Lisa. Tu risques d'oublier ton plat de spaghettis à force de le dévorer du regard.

Nouveaux rires. Tiens! Voilà Maxime qui s'approche…Lui c'est le play-boy de la classe. Blond, les yeux clairs, il fait en principe tomber toutes les filles. Avec Manuel il va avoir de la concurrence.

- Salut les filles! Alors, on est impressionnées par le charme du Sud du petit nouveau?
- No comment….
- Bah Lena! Tu peux bien nous dire que tu as craqué pour lui…
- Rien à déclarer.
- Si c'est pas Lena qui craque, à coup sûr c'est Jenny et Lisa….Ha ha ha! Y'a plutôt intérêt qu'il joue aussi bien au foot que son compatriote! Salut mes belles, on se retrouve au français….Hasta la vista baby!

La frime!

- Hé Lena! C'est qui le compatriote de Manuel?
- Un footballeur portugais, Jen, un de l'équipe nationale je suppose, mais ne me demande pas lequel, y'en a plusieurs….
- Un beau, j'espère…
- Tu t'intéresses au foot depuis quand toi?
- Depuis que Manuel est venu en classe hi hi
- T'as pas un nom, Lena?
- Ouais, Deco, Figo, Ricardo, Ricardo Carvalho, Nuno Gomes, Pauleta, Costinha, t’en veux d’autres? Y’a encore…euh…Petit, Simao, Tiago, Ronaldo…
- Quoi Ronaldo le Brésilien?
- Ronaldo le Brésilien, s’il est Brésilien, il va pas jouer pour l'équipe nationale du Portugal ma belle! Y'a un autre Ronaldo, un Portugais…
- Il est beau?
- Pas pour moi, mais avec toi on sait jamais..
- S’il est comme Manuel….

Tiens Manuel! Je l'avais presque oublié celui-là! Où peut-il bien être? Pas tout seul j'espère…
- On se voit en classe les filles!
- Tu vas où Lena?
- Mission secrète!
- T'oublie pas de demander à Manuel de venir manger avec nous à midi!
- (soupir)

Je traverse la cour et atteint rapidement la salle de classe. Manuel est assis au fond, tout seul. Il ne m'a pas vue. Il écrit ou dessine, je ne le vois pas très bien depuis la porte. Je m'approche discrètement.

- Olà Manuel.
- Olà Lena.
- Tu n'es pas sorti prendre l'air?
- Tout seul? Naõ.

Je m'assieds à ma place, me sens un peu coupable de l'avoir abandonné. Je le regarde dessiner, ne sachant pas que penser….

- Lisboa. Chez moi.
- Tu dessines bien.
- Obrigada. Merci.

Nouveau blanc. Je ne sais pas vraiment quoi lui dire, mais je me sens coupable de le laisser seul dans son coin. Il a remarqué que je l'observais. Il me sourit.

- A midi, manger où?
- Tu peux aller à la cantine de l'école, ou tu peux rentrer chez toi. Comme tu veux.
- Toi?
- A la maison, sauf le lundi. J'ai pas le temps à cause des cours de l'après-midi.

Il continue son dessin. Comme si dessiner le transportait dans son pays. Son pays qui lui manque. Il dessine chaque trait, chaque détail de la maison. Il n'oublie rien. Il a l'air heureux.

- Les filles, elle voudraient t'inviter à dîner avec nous.
- Qui?
- Mes amies. Jenny, Laura, Lisa….Nadine aussi. Elles sont dans la classe.
- …
- Laura c'est celle qui est tout devant, à côté de l'Africain, Momo. Jenny, elle est plus blonde qu'une Scandinave…
- Scandinave?
- Une qui vient d'un pays du Nord, la Norvège, la Suède, la Finlande….
- Elle est scandinave?
- Non mais ses cheveux sont très très clairs, presque que plus que ceux d'une Scandinavie.
- Mmm…

Apparemment les cheveux de Jenny ne l'intéresse pas. En tout cas moins que son dessin.

- T'es pas obligé si tu veux pas.
- C'est gentil de elle.

Je lui sourit.

- C'est parce que tu leur plais…

A lui de sourire maintenant.

- Je peux manger avec toi?
- Oui.
- Cantine?
- D'accord.

Il contemple un instant son dessin. Puis me le tend.

- Ma maison.
- Tu habitais dans la ville-même? Dans Lisbonne?
- Sì. Alfama.

J'avais déjà entendu parler de ce quartier de la ville. Un quartier typique. J'avais vu des photos sur un blog, sur le net. Très joli. Des petites ruelles étroites et en pente, des escaliers de pierre, inégaux. Des maisons de différentes couleurs. L'odeur typique du Portugal, du poisson, mais aussi la mer…mais je ne l'avais jamais vu de près, jamais parcouru, jamais senti…juste lu. Alfama. Le nom me fait rêver…
Un beau rêve d'ailleurs, mais hélas, subitement interrompu par la sonnerie stridente de la fin de la pause. Voici deux heures de français qui s'annoncent. Un peu d'Appollinaire, un peu de Céline…peut-être une dose de Sartre ou de Simone de Beauvoir….Une grande dose d'ennui certainement.
Les autres de la classe nous rejoignent bientôt, suivi du prof de français. Lui, c'es le genre d'homme, sûr de lui et de son charme, portant pantalons moulants et chemises à carreaux. Il manque plus que les chaussures, et ça ferait un parfait cow-boy! Ah! Le chapeau et le colt encore! Un cheval blanc…non un étalon noir! Je le vois déjà caracolant sur sa monture, plus rapide que l'ombre de Lucky Luke, soulevant un nuage de poussière sur son passage…A la recherche de quelque malfaiteur, brigand ou tricheur de poker..:Ah! Le Far West!

Et bien non. Ce ne sera pas le Far West, mais le 20ème siècle français….La biographie de Céline, Louis-Ferdinand de son prénom. Quelle idée de prendre le nom de sa grand-mère comme pseudo! A ce rythme-là, je m'appellerais Martha! Oh! Mon Dieu! Heureusement que je n'ai aucune vocation d'écrivain!

Le prof de français nous distribue un texte de Céline, un truc qui s'appelle "l'engagement". A Manuel aussi. Mais lui me regarde, anxieux.

- Je pas lire en français.
- Attends alors, je vais te le lire.

Je me tourne légèrement vers lui, prend ma feuille et commence à lui lire le texte. Il me regarde, captivé. Le prof ne remarque rien. C'est comme s'il n'avait pas remarqué Manuel. Ou plutôt, comme s'il ne l'avait jamais remarqué auparavant…

- Bien jeunes gens, quand vous aurez fini de lire, vous pouvez répondre aux trois questions guide du fond de la page.

Le cow-boy n'en plante pas une à son cours. A chaque fois, il distribue des textes à lire et à analyser…(soupir)…je déteste ça!

- Le travail se fait de manière individuelle, c'est valable pour vous également, Mademoiselle Lena.
- Mais M'sieur, il sait pas lire en français, Manuel!
- Et bien qu'il apprenne!

Je regarde Manuel, désolée pour lui.

- Il est pas cool ce prof, tu verras. Mais je t'aiderai. Il veut pas que je t'aide pour le texte. Alors voilà…on va essayer une autre technique. Tu connais la France?
- Peu.
- C'est un pays où ils font tout le temps la grève.
- Grève?
- Ouais, ils arrêtent de travailler quand ils sont pas contents. Pour protester.
- Protester?
- Ouais, dire qu'ils sont pas contents.
- Ah.
- Ben nous on va faire la même chose. Toi tu fais ce que tu veux. Tu peux dessiner. Moi je fais rien.
- Rien?
- Non je reste assise sur ma place, à fixer le prof. Il déteste ça.

Ca le fait rire, Manuel. Et nous voilà, tous les deux, assis au fond de la salle, les bras croisés, à fixer le prof. Qui pour l'instant n'a rien remarqué. Nous, on reste complètement sérieux, et on continue notre grève. Pour moi, c'est pas la première fois que je fais la grève. Manuel, oui, et il trouve ça plutôt comique.

- Mademoiselle Lena, encore en grève? Vous voulez aller expliquer le motif au Directeur? J’appelle déjà le syndicat ou comment ?
- Euh…non je crois que ça va aller.

Je me tourne vers Manuel.

- Fin de la grève. Désolée.
- Pas grave.

Il rit. Le cours de français reprend son cours normal….c'est-à-dire pénible. Mais il passe vite. Après quelques tentatives d'analyses, le prof renonce et nous donne un autre texte de Céline à analyser pour la prochaine fois. La sonnerie retentit. Il est midi.

Voilà déjà Lisa qui s'approche de moi.

- Lena? Tu lui as demandé?
- Ouais.
- Et alors?
- C'est non.
- Zut!
- Comme tu dis. Bon allez, ma belle, je vais manger. Bon app'!
- Hé mais..tu viens pas avec nous?
- Non déso, aujourd'hui je suis attendue.

Et je montre Manuel d'un signe du menton, Manuel qui m'attend près de la porte. J'adresse un grand sourire à Lisa, et rejoint mon nouvel ami.

- Mais j'en reviens pas Lena….Tu nous abandonnes pour un Portugais?
- C'est toi qui le trouvais canon il y a quelques instants. Et puis on se voit à 13 heures, pour la gym….
- On verra.

Lisa est jalouse, je crois. Mais il faudra que je la ménage, elle est hyper susceptible. Et capable de plus mauvais coups quand elle est fâchée. Mais c'est le dernier de mes soucis pour le moment. Je vais manger avec le plus beau gars de la classe. Et le plus sympathique aussi.

La cantine est archibondée pour changer. On prend tous les deux un plateau, et on se met dans la file d'attente. Personnellement, aujourd'hui je vais opter pour une salade. Pas de dessert. Et un verre de thé froid. Apparemment Manuel semble choisir la solution "grillade-frites-carottes", soit le menu du jour. Nous trouvons rapidement une table libre, légèrement à l'écart. Le début du repas se déroule dans un silence complet, ni l'un ni l'autre ne sachant comment commencer la conversation. Des gens défilent autour de nous, à la recherche d'une place, d'un ami…Arrive Maxime, qui, sans gêne, se pose à notre table.

- Alors Manu, on drague?
- ???
- Elle est belle, Lena, n'est-ce pas? Tu la touche pas, d'accord, elle est à moi!
- Arrête, Maxime, t'es con, (que je lui dis), d'abord c'est pas vrai, on sort pas ensemble.
- Tu sais jouer au foot, Portugais? (Là, ça me soûle, Maxime m'ignore!)
- Un peu.
- Ben va falloir faire tes preuves au cours de gym. On veut pas de mauviettes dans notre classe.
- Maxime, dégage! Tu nous étouffes!, je crie presque.
- T'énèrve pas Lena, je fais juste un peu d'intimidation. Et puis, je le prépare à notre classe, je suis sympa non?
- Ca va, casse-toi!

Il part, non sans nous avoir jeter un coup d'œil ironique et moqueur. Je soupire. Maxime, il est cool quand il veut. Mais c'est un leader, il aime être au centre du monde, des attentions de tout le monde. Et aujourd'hui, c'est pas vraiment le cas. Et puis, j'ai pas vraiment aimé la façon dont il m'a parlé. Je le connais depuis tout petit, Max, on a grandit ensemble, c'était mon premier amoureux, mais il ne m'a encore jamais parlé sur ce ton, et pourtant c'est pas la première fois que je dîne avec un beau mec….Maxime sera toujours mon petit Maxime à moi, on a partagé trop de choses pour que je le zappe de mon esprit d'un coup! Faudra que je lui explique ça…

- Jaloux?
- Qui Maxime? Ouais je pense. Mais bon c'est normal. Tu viens d'arriver et tout le monde parle de toi. Avant tout le monde parlait de Maxime. Maintenant, il doit accepter qu'il est plus tout seul. Que des autres gens existent aussi, des gens à qui on peut s'intéresser, tout comme on peut s'intéresser à lui, à toi…Tu comprends?
- Sì.
- T'es fort en gym?
- Peu. J'aime beaucoup.
- Tu fais du foot?
- Avant oui. A Lisboa.
- Tu pourras en faire aussi ici si tu veux. Je te présenterai l'entraîneur, c'est mon frère.
- Et toi?
- Quoi? Si je fais du foot? Oui, je joue aussi.
- Ici?
- Oui, dans l'équipe de l'école. On a gagné le championnat la saison passée.
- Bravo.
- Merci.
- A Lisboa, je jouer au Benfica.
- Quoi? La grande équipe?
- Non. Junior. Tu connais?
- Qui ne connaît pas le Benfica? (je lui souris). Le club d'Eusebiò! Et 31 fois champion du Portugal, le Benfica! C'est pas rien comme club! Mais je connais pas plus….

Manuel me sourit. Ouais, je suis désolée, j'ai pas pu me retenir…Quand on parle foot, je me lâche! J'aime le foot, j'en sais un rayon, sans tout savoir toutefois, et je suis toujours en quête de nouvelles infos…

Notre repas est vite avalé, nous sortons dans le parc, derrière l'école, prendre l'air. Le sujet de discussion tourne encore autour du foot, mais ça ne me déplaît pas. Puis retentit la première sonnerie. C'est l'heure de retourner au bâtiment central, pour les cours. La bousculade est énorme dans les couloirs. Je ne comprends pas ces gens impatients de se retrouver sur les bancs de l'école. Oh! Moi je resterais bien toute ma vie sans école! Sans problème!
C'est l'heure du cours de gym. On se retrouve tous dans la salle. Et c'est génial, parce que aujourd'hui, on fait du foot! Les filles d'un côté, les garçons de l'autres, d'accord, mais ça reste du foot. On joue bien des deux côtés, le ballon circule et on réussit même à mettre quelques buts. Je joue avec Lisa et Jenny, qui ne m'adressent qu'à peine la parole. Elles sont jalouses, mais ça va leur passer.

Soudain, on entend un grand bruit. Des cris. Le prof qui hurle. On se retourne, toutes les filles. Et on voit une énorme bagarre dans le camp des mecs. A première vue, Maxime est impliqué. Manuel aussi. Plusieurs autres garçons de la classe. C'est une énorme rixe. Tout le monde tape sur tout le monde. Il y a déjà du sang sur le sol. Derrière mois, des filles crient, paniquées. Le prof ne sait pas comment réagir. Les insultes fusent de part et d'autre. Personne ne bouge. Puis, je vois Manuel à terre, inerte. Je cours vers les garçons, j'écarte Maxime, en essayant de le calmer, mais Thomas, son meilleur ami, a pris le relais et continue de frapper Manuel. J'écarte Thomas et c'est Maxime qui reprend. Personne ne m'aide. Personne ne cherche à aider Manuel. Je reçois quelques coups de poings et de pieds. Je crie contre Maxime, je lui dis d'arrêter, il s'entête et frappe encore plus fort. Le prof n'a toujours pas bougé. Je me débats, coincée entre Thomas et Maxime, mais les garçons sont nettement plus fort que moi. Personne n'a bougé dans la classe, personne n'a réagi. Aucune des mes amies. Personne.

Finalement, je parviens à dégager Manuel de la mêlée. Il est couvert de sang et ne réagit qu'à peine. Le prof s'interpose enfin entre Maxime et Thomas.

- Maxime, Thomas! Dans mon bureau! Lucien, va me chercher le directeur! Toi Nathalie va appeler l'infirmière!

Les quatre élèves s'exécutent au pas de course. Le reste de la classe ne réagit toujours pas, comme abasourdie, ou alors elle ne sait pas comment réagir. Je tiens Manuel par la taille et le conduit à l'infirmerie.

- T'es aux petits soins pour lui maintenant Lena? Il t'a fait quoi à midi?
- Ta gueule Maxime! Il t'avait rien fait…
- Il t'avait rien fait, il t'avait rien fait…c'est un intrus et il dérange!

Je ne réponds pas. A quoi bon? Maxime est jaloux.

L'infirmière c'est la Grosse Martha (mais c'est pas ma grand-mère!). Nous on l'appelle GM (prononcé Gi-èm)…Elle est stupide. Je plains Manuel…Non franchement, GM, elle doit avoir dans les soixante ans, presque à la retraite. Elle est beaucoup trop à l'étroit dans sa blouse blanche, et elle a des cheveux gris paresemés de pellicules. Elle travaille avec une stagiaire, qu'elle dénigre. Elle la rabaisse sans arrêt devant les profs ou le Directeur. Vous voyez le genre? Et bien, j'espère sincèrement pour Manuel que GM n'est pas là aujourd'hui…la stagiaire elle a l'avantage, sans être belle, d'être jeune et drôle.

Pas de chance! Devinez qui gère l'infirmerie aujourd'hui? GM mon amie! Elle est assise au fond de la pièce, près des fenêtres. Elle lit un magazine "People". Elle n'a même pas levé la tête quand nous avons ouvert la porte!

- Bonjour Madame!
- ….asseyez-vous!

Je fais la grimace.

- Hé hé mais c'est la p'tite Lena! Dis donc tu nous amènes un blessé de guerre ou quoi?
- Y'a eu une bagarre à la gym.
- J'connais pas l'type, c'est qui?
- Manuel. Il est nouveau.
- Nouveau et déjà tabassé! Et bien dis donc! Beau palmarès!
- C'est pas de sa faute vous savez.

J'aurais mieux fait de la fermer. Vous devriez l'entendre ricaner, la Grosse Martha! Et la voir aussi! C'est que, quand elle ricane, elle est secouée de partout, et avec le tas de graisse qu'elle a, ça fait un sacré tremblement de terre! Toutes les cellules mortes de la peau sont tombées d'un coup, tellement elles étaient secouées (et même les pellicules).
Manuel me regarde, effaré.

- Elle est bizarre, mais pas méchante, je lui chuchote.
- D'accord.

Il la regarde s'affairer sur sa table. Elle ramasse et trie ses instruments de torture. Elle jette des morceaux de coton.

- Ah mais ça me revient! C'est le p'tit Portugais!
- Oui.
- Et toi tu viens nous jouer les Zorro de service?
- Ben non. Mais y'a personne qui l'a aidé….

Et de nouveau elle ricane.

- Bon on va l'soigner l'ami…Ready?
- Sì.

Une éternité plus tard, Manuel est plein de pansements, et a eu droit, en prime, à un rapide contrôle médical. J'en connais un de plus qui va éviter de passer à l'infirmerie! Martha nous libère enfin.

- A ta place, je le surveillerais de près, ton ami…il a un sacré c…

Célibataire celle-là, et pas souvent dans le lit de beaux mecs,je pense! C'est pas la première fois qu'elle fait des remarques du style, par contre c'est la première fois que ça m’énerve…je ne peux m'empêcher de jeter un œil sur les fesses de Manuel, c'est vrai qu'elles sont bien (ou ont l'air bien).

Depuis le temps qu'on est à l'infirmerie, le cours de gym est terminé, et le cours d'anglais entamé. Je conduis Manuel à travers les couloirs, je fais des petits détours, histoire de perdre du temps. Mais le temps ne semble pas avancer aussi vite que je l'aimerais et… pas le choix, faut aller au cours!

Tout le monde nous regarde entrer. Je ne sais pas si regarder est vraiment le terme exact, puisqu'ils nous fixent tous, comme si on venait d'une autre planète. Même les copines ne semblent plus me reconnaître. Je déteste leur comportement, mais je suis bien trop fière pour me l'avouer. Je traverse la classe d'un pas décidé, Manuel me suit. On s'assied à nos places dans un silence complet.

- Manuel?

Super! La prof d'anglais est la première à s'intéresser vraiment à notre petit nouveau. Dieu sait encore ce qu'elle mijote, celle-là! Elle va lui demander de se présenter en anglais, et rien que pour le tester, elle va lui poser des colles. Après l'humiliation du cours de gym, … pourvu qu'il parle bien anglais Manuel! S'il vous plait, mon Dieu, faites qu'il parle bien anglais…

- Can you introduce you, please? How old are you? Where are you from? And, of course, your family, your hobbies, your country, what you want….

Je retire tout ce que j'ai dit. Il baronne Manuel en anglais. Je suis complètement sciée. J'ai plus de voix. Pour une piplette de service, je peux vous certifier que c'est beaucoup, d'être sans voix et de ne plus savoir quoi dire!

Chacun de la classe doit se présenter. Génial! Je déteste ça! Déjà que j'ai un accent pas possible quand je parle anglais…et puis bon, j'ai pas une vie moult passionnant, alors que dire?

Toutes les filles ont dit qu'elles aimaient le Portugal et le football !!!! Ca m'étonne même pas, toutes des dragueuses celles-là!

- Lena?, me chuchote mon beau voisin.
- Oui?
- Elles vraiment aimer le futebol?
- Non.

Là, il capte plus rien. Enfin c'est ce que je crois, parce qu'il est pas stupide quand même. Même au Portugal les filles savent draguer… Et les gars sûrement aussi. Bref, c'est mon tour là…

- Lena, à toi?
- Euh….. oui…My name is Lena, I'm 19. And..euh…I've a brother and euh….
- Tu as déjà été plus expressive Lena!
- … (là je suis rouge! … non que dis-je! je suis CRAMOISIE!)
- Encore quelques phrases s'il te plait, tes hobbies…Go on Lena!
- I like football, I like chocolate,…and euh…in winter I often go skiing.
- Thanks Lena.

Super ouais! Je me suis pris une de ces gênées de douze! Incapable d'aligner deux mots, on n'aura jamais vu ça!

Le cours d'anglais continue son cours tranquille (le jeu de mots!), je ne parle presque pas. Manuel dessine. Il dessine bien. Il dessine des ruelles, des maisons, la mer…du linge pendu à une corde tirée entre deux maisons…. Il dessine le Portugal. Son Portugal.

J'oublie un instant Shakespeare… Au revoir les ruelles sombres et arrosées de pluie de l'Angleterre! Bonjour les ruelles colorées, ensoleillées, animées de Lisbonne! Je regarde Manuel, fascinée. Je vis le Portugal à travers le crayon de mon voisin. Comme le disait un chanteur dont j'ai oublié le nom…"je m'voyais déjà…"…je me voyais au Portugal, dévalant les ruelles de l'Alfama, avec mon sac de plage, riant aux plaisanteries de Manuel,….je voyais aussi la mer à perte de vue, du sable blanc et fin…mais je voyais surtout Manuel…plus rayonnant que le soleil…plus beau aussi.

Je suis amoureuse.

Non.

Si.

Sì?

Non, c'est pas possible. Pas le premier jour.

Mais oui, Lena, avoue-le, tu as craqué…

Arrête, c'est pas vrai!

La sonnerie de fin de cours me délivre de mon dialogue intérieur. Suis-je vraiment amoureuse de Manuel? Ais-je vraiment oublié mon petit David, le copain de mon cousin?
Je range mes affaires, jette négligemment (!) mon sac sur mes épaules, je sors dans la cour, rejoindre mes amies, comme à mon habitude. J'ai encore oublié Manuel. Ou plutôt, mes petites habitudes ont repris le dessus.

- Hé les filles! Attendez-moi!
- T'es pas avec TON Manuel?

Je les regarde, éberluée. Elles qui me parlaient de Manuel comme le plus beau des Dieux grecs (pardon…portugais! Après la victoire des Hellènes en finale de l'Euro au Portugal j'ose presque plus….)… J'en étais où? Ah oui! Elles en parlaient donc comme le plus beau des Dieux portugais ce matin pendant la pause et là….elles le considèrent presque comme une chose. C'est à ne plus rien y comprendre!

- T'sais Lena, on a toujours su que tu adorais le foot. Nous on s'en fout du foot. On veux mater les joueurs. Là, y'a un beau gars qui débarque et tu te l'appropries, simplement parce qu'il est fort en foot, me dit Lisa, sur un ton de reproches.
- Et il est portugais, qui plus est! Toi qui les trouves tous craquants, renchérit Jenny.
- Alors si on te dérange, tu nous préviens et on te fous la paix!
- Mais les filles…j'ai jamais dit que vous me dérangiez!
- Ah bon? Et le dîner? D'habitude tu le prends toujours avec nous, là tu préfères le tête à tête avec un sublime Portugais!
- Mais…
- Y'a pas de mais Lena…Quand tu seras disposée à nous parler, à passer du temps avec nous, fais-nous signe, peut-être qu'on aura alors envie de te parler!

Et elles s'en vont. Elles me tournent le dos d'un pas décidé. D'un pas fier. Je suis restée sur place, les bras pendants dans le vide, ne sachant plus que penser. Je n'ai pas vu, ni entendu Manuel s'approcher.

- Problèmes?
- Ouais…
- Quoi?
- Elles sont fâchées. Ou jalouses. Et jalouses!
- Pourquoi?
- Oh! Paraît que je passe trop de temps avec toi. Rien de grave. Tu viens, on s'en vas!

Et de traverser la cour. Moi aussi je sais marcher d'un pas décidé et fier. Je prends mon vélo.

- Tu habites où Manuel?
- Rua Paris.
- La rue de Paris? C'est pas loin de chez moi. J'ose t'accompagner ou t'es attendu?
- Non.
- Non quoi? Je peux venir avec?
- Oui.

Je le regarde en souriant. On éclate de rire. C'est fou comme on est devenus amis, les deux. Et tout ça après rien qu'une journée de cours!

Le chemin du retour se passe dans le silence. Mais c'est un silence complice, si vous voyez ce que je veux dire. On n'a pas besoin de paroles pour se comprendre.

Rue de Paris. Ou Rua Paris comme vous voulez. C'est un quartier pas très riche de la ville, mais c'est pas non plus la banlieue. On dira que c'est une suite de grands immeubles propres et bien entretenus. Manuel vit au numéro 2, l'immeuble juste à côté du carrefour avec l'Avenue du 8 mai (ça c’est un truc qu’on a piqué aux Français et aux Belges, quelle idée de donner un nom pareil à une rue, tout ça parce que ça marque la fin d’une guerre, ou un truc du genre), et c’est pas très loin de mon immeuble en plus. On discute encore un moment au bord de la route. De tout et de rien. De rien et de tout. On rit, on se sourit. On entend des éclats de voix, et des rires, de chaque côté. Des enfants jouent, des parents les regardent, des vieux se promènent. C'est calme.

- Maaaanouèèèèl!

Une voix stridente. Qui porte. Elle vient d'une fenêtre au deuxième étage.

- C'est Maman. Je dois partir.
- Tu sors ce soir?
- Sais pas.
- Si jamais, tu sais où j'habite!
- Oui.
- A plus!
- A plus?
- A la prochaine si tu préfères!

Je lui souris. Il me sourit. Puis il s'en va. Je le regarde s'engouffrer dans l'immeuble, pensive. Sur le pas de la porte, il se retourne. Me fait un signe de la main. Puis la porte se referme. J'attends un instant encore. Je ne sais pas pourquoi. Puis je me décide à rentrer moi aussi.

Devant chez moi, il y a les petits de la voisine qui joue. Tiago et José. Deux garnements. Mais absolument adorables. Tiago doit avoir 4 ans je crois, et José 2 ou 3, je m'en souviens plus. Je les garde de temps en temps, lorsque leur mère sort. Elle vit seule avec les deux, et y'a aussi un plus grand, mais lui n'est jamais à la maison. Je crois qu'ils ont eu des problèmes et il a dû partir. Ils sont portugais aussi. Je les aime bien en fait.

- Lena! Lena!
- Salut les fous! Ca va?
- Oui, me dit Tiago.
- Ben moi aujourd'hui j'ai fait un dessin pour ma maman, m'informe le petit José, même qu'il était tout bleu!
- Tu as dessiné la mer alors, je lui dis.
- Non le ciel.
- Il devait être beau.
- Oui, très.

José est absolument adorable. Quand il sera grand, il fera des ravages. Tiago aussi, mais José plus.

- Et toi, Tiago, l'école?
- Demain on va apprendre à attacher les chaussures.
- Ca va bien alors! Tu pourras m'expliquer!
- Mais non! Toi tu sais déjà Lena!

Je ris.

- Bon les gars. Moi je rentre. A la prochaine.
Pas de réponse. Ils ont continué leurs jeux. Moi je monte les deux étages à pied. Oh! C'est pas qu'il n'y ait pas d'ascenseur… Ni que j'ait peur d'y rester coincé (ça dépendrait avec qui en fait!), mais…peut-être une simple envie de faire du sport, ou une façon de ne pas changer les bonnes habitudes. Mais là n'est pas la question.

Devant la porte de l'appartement, trois paires de chaussures. En résumé, ma mère est à la maison, mon frère y est aussi, et…. vu la taille des chaussures (43, j'ai vérifié), un des ses copains également. J'enlève mes chaussures. J'ouvre la porte.

- Hello tout le monde!
- Salut petite sœur!

Super. Mon frère mate un film avec un….une créature peu désirable, on va dire ça comme ça. Un gringalet boutonneux en termes techniques (en plus, faut vraiment que vous voyiez sa coupe de cheveux!). Ma mère prépare le repas du soir. Déjà?

- Salut M'man! Ca va?
- Bien et toi?
- Oui. Tu prépares déjà le souper?
- Oui, je sors ce soir.
- Avèèc?
- Curieuse va! Avec ta tante Lucie.
- Tu la salueras de ma part alors.

Je prends un pain au chocolat.

- On va bientôt manger Lena…
- Ch'sais. Mais trop faim là…Dis voir…le type, là, il va pas rester souper au moins?
- Qui? Julien? Si…
- Doux Jésus! Un moche à table!
- T'es pas très gentille, toi.
- Je sais.

Je prends le journal. Rien de neuf. A part l'Etat qui a décidé de prendre des mesures dans un truc économique. J'ai rien compris. Et l'équipe de basket de la région qui a perdu. Le cadet de mes soucis. Du soleil au programme ces prochains jours. Mais les températures qui baissent. C'est bientôt l'hiver. Dans trois semaines quoi!

Du salon, on entend des bruits de voix. De la télé, d'accord, mais aussi mon frère et son extraterrestre. Ils rient. J'ai jamais compris comment un western pouvait faire rire, mais bon, c'est pas mon problème.

- A table les jeunes!

Tout le monde rapplique. Faut dire que ma mère a une réputation de cordon-bleu dans tout le quartier.

- Alors Nico, tu me présentes ton nouveau copain?
- Lena, Julien. Julien, Lena.
- Salut Julien.
- Salut Lena.

Début de conversation difficile.

- T'es de la région?

Je fais l'intéressée.

- Oui. Mais pas du quartier.
- Du quel alors?
- St-Romain.
- La banlieue quoi!
- Pas vraiment.
- Et tu parles couramment français?
- ???

Là, je marque un point. Tout le monde me regarde d'un air bizarre.

- Ben ouais, je renchérit, je savais pas que les extraterrestres parlaient français!
- Purée Lena, tu nous chantes quoi là? m'envoie mon frère.
- Avec sa coupe de cheveux, difficile de ne pas le confondre avec un extraterrestre!
- Te moques pas, frangine.
- Simple constatation frangin.
- Je suis français Lena, m'informe (gentiment) Julien, (comme si ça expliquait sa coupe de cheveux !)
- Un Frouze! Manquait plus que ça!
- Lena! (Ma mère me regarde d'un air mi-amusé, mi-fâché, ce qui m'incite à continuer…)
- Un Frouze! Et avec ça, tu veux me dire que t'es pas un extraterrestre! Et bien bonjour!

Julien semble vexé. Et amusé à la fois. Nico ne sait plus où se mettre. Maman tente de dissimuler un fou rire. Personnellement, je suis plus sérieuse que le Président de la Confédération lors du discours du 1er Août. Julien réfléchit, ça fume au-dessus de ses antennes chevelues. Je crois qu'il va contre-attaquer. Tous aux abris!

- T'aimes pas les Français?
- Oh tu sais…ils m'ont rien trop fait…
- Alors?
- …mais c'est bien connu! Les Français…c'est pas nos chéris. Et quand on peut se défouler, on le fait sur eux. A moins qu'il n'y ait des Vaudois à proximité. Et à part, nous avoir volé la qualification directe pour la Coupe du Monde…rien à signaler!

Personne ne sait me répondre. Personne ne me résiste. Je plaisante bien entendu. Mais apparemment, les spaghettis de Maman sont bien plus intéressants. Je comprends parfaitement. Le repas se poursuit dans le silence. On entend juste le raclement des fourchettes sur le fond des assiettes… et mon frère qui aspire bruyamment les pâtes, giclant par la même occasion de la sauce tomate sur sa barbe de trois jours. Je repense à Manuel. Tout le contraire de mon frère. Quoique! Je l'ai jamais vu manger des spaghettis!

- On a un nouveau dans la classe.

Je me suis décidée à rompre le silence. Il devenait pesant. Je déteste le silence, suis bien trop bavarde pour ça. Nico et le Français continuent pensivement à manger leurs spaghettis. Ma mère a relevé la tête.

- Et comment?
- Il est cool, il s'appelle Manuel.
- Espagnol?
- Non, Portugais. Il parle pas très bien français.
- Le voilà, ton extraterrestre!
- Merci Nico.

Julien est hilare. Ma mère se retient de justesse. J'adresse à Julien un sourire digne de Julia Roberts (il me manque juste le rire…).

- Mais Manuel a l'avantage d'être séduisant…
- Et dragueur, comme tout Portugais qui se respecte, attaque mon frère.

Je réponds pas. A quoi bon?

- Ton silence est une réponse, sœurette….ou comme dirait ton ami Manuel, tonch chilence estch ounch rèchponch!

Là, c'est l'éclat de rire général! Même moi j'ai de la peine à me contenir. Il est marrant, mon frère, quand il s'y met. Mais il faut vraiment qu'il s'y mette alors, parce que c'est pas toujours ça.

- Tu nous le présenteras à l'occasion.

Maman tente de calmer la situation. Trop drôle.

- Max est jaloux. Il l'a frappé à la gym.
- Ca veut dire que ton Manu a été voir GM?
- Ouais frangin.

Julien et Nico rient de nouveau. Et y'a de quoi! Voir la Grosse Martha c'est pas une sinécure, vous l'aurez compris!

Le repas terminé, la vaisselle dissimulée dans le lave-vaisselle (franchement, celui qui a inventé ce mot, il était belge. Ou alors c'était une blonde. Parce qu'en général, le lave-vaisselle, c'est pour laver la vaisselle, sinon le lave-linge ne s'appellerait pas lave-linge! …Ca existe ce mot au fait?…Je crois que c'est moi qui suis blonde là…Bref. Il faut que j'arrête les réflexions débiles).

Maman est partie se préparer. Les mecs sont de nouveau scotché devant le petit écran. Je ne sais pas quoi faire. J'aurai des devoirs mais….voilà. Les devoirs c'est pas ma passion.

On sonne à la porte.
- C'est certainement Lucie, hurle Maman depuis la salle de bain, fais-la entrer!

J'ouvre la porte. C'est pas Lucie. C'est Manuel.

- Salut.
- Salut Lena. Toi peux aider pour devoirs?
- Oui, oui bien sûr. Tu veux entrer?

Je lui prends ses livres, son manteau (Quelle réception! A ce rythme-là, je pourrais recevoir le prince d'Angleterre!!! William de préférence mais Harry, ça ne me dérange pas!). L'arrivée de Manuel n'est pas passée inaperçue depuis le salon…

- De l'aide pour les devoirs, c'est toujours ce qu'on dit! Et après, vous vous enfermez dans la chambre et hop!
- Niiicooooooooo!

J'ai hurlé. Mon frère est insupportable. Julien rit. C'est drôle, un extraterrestre qui rit, il a les antennes toutes secouées.

- Excuse-le….il est…insupportable!

Manuel trouve la situation plutôt amusante. Je lui conduit à ma chambre. On y sera mieux (sans pensée particulière bien entendu!).

C'est ce moment-là que Maman a choisi pour traverser le couloir, de la salle de bain à sa chambre.

- Oups. Excusez-moi…, dit-elle d'un air absolument pas confus.

Ma mère n'est pas pudique. Bon là, elle est en peignoir, mais je vous disais ça pour votre information.

- C'est Manuel, Maman, mais je te le présenterai une autre fois.

Elle rit.

- On est dans ma chambre, je l'aide pour les devoirs.
- Tu pourras par la même occasion faire les tiens!
- C'est pas sûr, ça, Maman.

Je ferme la porte de ma chambre. Pas à clé bien sûr, l'esprit imaginatif de mon abruti de frère pourrait être trop satisfait.

Bon d'accord, j'ai pas rangé ma chambre, des habits (propres) traînent un peu partout, mon sac de sport n'est pas défait, mon lit n'est pas fait, et un tas de feuille menace de s'écrouler…C'est un vrai champ de bataille. Je débarrasse rapidement mon lit, et mon bureau (je mets tout par terre) et…Tiens! Mais il est où Manuel?

- J'aime beaucoup Owen aussi.

Ah! Il contemple mes posters. Owen, Owen, Owen, et encore Owen…et puis l'équipe de Suisse, l'équipe de Suisse, l'équipe de Suisse…c'est pas très varié.

- Moi j'aime pas, j'adore!

Ca le fait rire. Bon à la limite on s'en f…mais je tenais à le préciser.

- Dans ma chambre, j'ai aussi Owen, me dit Manuel d'un air sérieux.
- Ouais alors tu peux lui dire de venir dans la mienne!

Je ris. Manuel met un moment avant de comprendre. C'est de nouveau un fou rire. Les devoirs attendront.

Maman passe la tête dans la chambre.

- Je m'en vais Lena.
- Pas de soucis! Je surveille mon frère.
- Bonjour Manuel.
- Bonjour Madame.
- Ma Maman, Manuel. Manuel, ma Maman

Je fais les présentations rapidement. Maman est toute maquillée, toute coiffée, toute habillée, toute belle quoi!

- Tu vas au casino M'man?
- Quelle fille curieuse!

Ca fait rire Manuel.

- Tu fais les maths Lena?
- Quelle maman curieuse!

Je lui souris. Manuel nous regarde, amusé. Maman s'en va. On entendu une discussion dans le salon. On n'y prête pas garde.

- Elle a l'air gentille.
- Je te rassure, elle sait s'énerver aussi.
- Elle est belle.
- Ca oui. Et c'est sûrement pas d'elle que j'ai dû hériter!
- Si toi tu es jolie aussi.
- Et bien merci pareillement. On fait les maths là?

Il me regarde comme si je venais d'une autre planète (et pourtant c'est Julien l'extraterrestre de l'histoire!).

- Au Portugal, j'étais fort en math.
- Ah.
- Je suis venu ici, parce que je voulais te voir.
- …

Je me suis fait "eue"! Faudra pas que les copines apprennent ça. Et mon frère encore moins!

- Pour dire merci.
- Merci pour quoi?
- A l'école. Tu vas perdre tes amis pour moi.
- Ca me dérange pas.
- Mais je veux pas que toi as des problèmes à cause de moi.
- Les copines, elles sont jalouses…parce que tu es mignon et que je suis tout le temps avec toi. Enfin toute la journée.
- Je peux arrêter d'être avec toi.
- T'es fou ou quoi?

Je m'assied sur le lit, à côté de lui.

- Moi j'aime bien être avec toi, Manuel, je t'aime bien aussi. T'es mon ami. Elles doivent l'accepter.
- Merci.
- De rien.
- Et Maxime?
- Bof…t'inquiète pas pour lui. Il fait une petite crise mais ça va lui passer.
- Tu l'aimes bien?
- Oui. C'est mon meilleur ami. On a grandi ensemble. Mais lui aussi, il doit accepter que j'ais des autres amis que lui.
- Mais tu vas pas le perdre?
- Non. C'est un peu comme mon frère jumeau. Depuis tous petits, on a tout fait ensemble. L'école, les bêtises, le premier bisou…On est très proches. Mais tu sais, je peux être très proche avec Maxime et bien m'entendre avec toi.
- …
- Et tu sais, je me marierai pas avec Maxime, alors y'aura forcément un autre homme dans ma vie. Tu vois?
- Oui. Toi tu es très gentille aussi.
- Merci.
- Tu es la seule qui est gentille avec moi, depuis que je suis là.
- Je serai certainement pas la dernière.
- Je peux te présenter ma famille?
- Bien sûr!
- Je vais rentrer.
- Je te raccompagne.

Nous traversons l'appartement (mon frère n'y prend pas garde heureusement), mettons nos manteaux. Je raccompagne Manuel jusqu'au carrefour. Puis je le regarde s'en aller. Pensive, comme déjà plus tôt ce matin. Suis-je donc vraiment amoureuse de lui?
Sur le chemin du retour, je croise Alphonse, un petit vieux du quartier, toujours la clope au bec. Il marmonne quelque chose. Incompréhensible comme toujours. Mais de toute manière, il ne cesse de se plaindre de tout et de rien. Mieux vaut ne pas chercher à comprendre.
Plus loin, des enfants, qui malgré l'heure tardive, joue encore dehors. La nuit est déjà presque complètement tombée. Une journée de plus qui s'est terminée.
Je m'engouffre dans l'immeuble, rejoint Nico et Julien dans l'appartement. Toujours devant la télé ces deux-là.

- Je vais dormir, les gars. Bonne nuit.

Pas de réponse. Pas de commentaire. C'est mieux ainsi. Je ferme la porte de ma chambre. Je range un peu mon désordre. Je suis fatiguée. Je me glisse sous le duvet. C'était une belle journée. Une très belle journée. Sauf la gym. Pourquoi personne n'a réagi? Pourquoi tout le monde a eu comme peur en voyant Manuel au sol? Ont-ils réagi ainsi parce que justement c'était Manuel? Je ne parviens pas à m'expliquer le comportement de Maxime.

Dans ce genre de situation, on découvre les vrais amis, les vraies valeurs de l'amitié. Celui qui te soutient même dans la merde, c'est ton ami. Et le restera toujours. Quelles que soient les situations. Et pourtant Maxime c'est un ami proche. Lisa et Jenny aussi. Comment expliquer leur comportement?

Est-ce la peur de l'Etranger? Peut-être est-ce la peur de se sentir attiré par un étranger? Pourquoi? Un Etranger, c'est un plus pour notre société. Il nous amène de la culture, des traditions, des habitudes. Il nous apporte des passions, des sentiments. Au contact d'un Etranger, on apprend. On apprend son pays. On apprend sa ville. On apprend sa langue. On se développe. On "grandit". Mais lui aussi. Lui découvre nos traditions, nos habitudes, notre culture en même que nos villes et villages. S'il vient de la mer, il découvre la montagne. S'il vient de la montagne, il redécouvre la montagne. On partage. Et puis, pour finir, l'Etranger devient Familier. Il fait avancer la civilisation par ses apports, il apprend le pays, la région au point de le, la connaître comme s'il y avait toujours vécu. Comme un Familier, un Indigène.
Les gens qui se moquent, qui ignorent, qui dénigrent un Etranger se rendent-ils compte qu'il existe aussi un Quelquepart où eux sont l'Etranger?

Alors pourquoi continuent-ils?

Je n'ai pas le courage de réfléchir plus. La journée était longue et riche en émotions. Je m'endors.


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