Un beau rêve d'ailleurs, mais hélas, subitement interrompu par la sonnerie stridente de la fin de la pause. Voici deux heures de français qui s'annoncent. Un peu d'Appollinaire, un peu de Céline…peut-être une dose de Sartre ou de Simone de Beauvoir….Une grande dose d'ennui certainement.
Les autres de la classe nous rejoignent bientôt, suivi du prof de français. Lui, c'es le genre d'homme, sûr de lui et de son charme, portant pantalons moulants et chemises à carreaux. Il manque plus que les chaussures, et ça ferait un parfait cow-boy! Ah! Le chapeau et le colt encore! Un cheval blanc…non un étalon noir! Je le vois déjà caracolant sur sa monture, plus rapide que l'ombre de Lucky Luke, soulevant un nuage de poussière sur son passage…A la recherche de quelque malfaiteur, brigand ou tricheur de poker..:Ah! Le Far West!
Et bien non. Ce ne sera pas le Far West, mais le 20ème siècle français….La biographie de Céline, Louis-Ferdinand de son prénom. Quelle idée de prendre le nom de sa grand-mère comme pseudo! A ce rythme-là, je m'appellerais Martha! Oh! Mon Dieu! Heureusement que je n'ai aucune vocation d'écrivain!
Le prof de français nous distribue un texte de Céline, un truc qui s'appelle "l'engagement". A Manuel aussi. Mais lui me regarde, anxieux.
- Je pas lire en français.
- Attends alors, je vais te le lire.
Je me tourne légèrement vers lui, prend ma feuille et commence à lui lire le texte. Il me regarde, captivé. Le prof ne remarque rien. C'est comme s'il n'avait pas remarqué Manuel. Ou plutôt, comme s'il ne l'avait jamais remarqué auparavant…
- Bien jeunes gens, quand vous aurez fini de lire, vous pouvez répondre aux trois questions guide du fond de la page.
Le cow-boy n'en plante pas une à son cours. A chaque fois, il distribue des textes à lire et à analyser…(soupir)…je déteste ça!
- Le travail se fait de manière individuelle, c'est valable pour vous également, Mademoiselle Lena.
- Mais M'sieur, il sait pas lire en français, Manuel!
- Et bien qu'il apprenne!
Je regarde Manuel, désolée pour lui.
- Il est pas cool ce prof, tu verras. Mais je t'aiderai. Il veut pas que je t'aide pour le texte. Alors voilà…on va essayer une autre technique. Tu connais la France?
- Peu.
- C'est un pays où ils font tout le temps la grève.
- Grève?
- Ouais, ils arrêtent de travailler quand ils sont pas contents. Pour protester.
- Protester?
- Ouais, dire qu'ils sont pas contents.
- Ah.
- Ben nous on va faire la même chose. Toi tu fais ce que tu veux. Tu peux dessiner. Moi je fais rien.
- Rien?
- Non je reste assise sur ma place, à fixer le prof. Il déteste ça.
Ca le fait rire, Manuel. Et nous voilà, tous les deux, assis au fond de la salle, les bras croisés, à fixer le prof. Qui pour l'instant n'a rien remarqué. Nous, on reste complètement sérieux, et on continue notre grève. Pour moi, c'est pas la première fois que je fais la grève. Manuel, oui, et il trouve ça plutôt comique.
- Mademoiselle Lena, encore en grève? Vous voulez aller expliquer le motif au Directeur? J’appelle déjà le syndicat ou comment ?
- Euh…non je crois que ça va aller.
Je me tourne vers Manuel.
- Fin de la grève. Désolée.
- Pas grave.
Il rit. Le cours de français reprend son cours normal….c'est-à-dire pénible. Mais il passe vite. Après quelques tentatives d'analyses, le prof renonce et nous donne un autre texte de Céline à analyser pour la prochaine fois. La sonnerie retentit. Il est midi.
Voilà déjà Lisa qui s'approche de moi.
- Lena? Tu lui as demandé?
- Ouais.
- Et alors?
- C'est non.
- Zut!
- Comme tu dis. Bon allez, ma belle, je vais manger. Bon app'!
- Hé mais..tu viens pas avec nous?
- Non déso, aujourd'hui je suis attendue.
Et je montre Manuel d'un signe du menton, Manuel qui m'attend près de la porte. J'adresse un grand sourire à Lisa, et rejoint mon nouvel ami.
- Mais j'en reviens pas Lena….Tu nous abandonnes pour un Portugais?
- C'est toi qui le trouvais canon il y a quelques instants. Et puis on se voit à 13 heures, pour la gym….
- On verra.
Lisa est jalouse, je crois. Mais il faudra que je la ménage, elle est hyper susceptible. Et capable de plus mauvais coups quand elle est fâchée. Mais c'est le dernier de mes soucis pour le moment. Je vais manger avec le plus beau gars de la classe. Et le plus sympathique aussi.
La cantine est archibondée pour changer. On prend tous les deux un plateau, et on se met dans la file d'attente. Personnellement, aujourd'hui je vais opter pour une salade. Pas de dessert. Et un verre de thé froid. Apparemment Manuel semble choisir la solution "grillade-frites-carottes", soit le menu du jour. Nous trouvons rapidement une table libre, légèrement à l'écart. Le début du repas se déroule dans un silence complet, ni l'un ni l'autre ne sachant comment commencer la conversation. Des gens défilent autour de nous, à la recherche d'une place, d'un ami…Arrive Maxime, qui, sans gêne, se pose à notre table.
- Alors Manu, on drague?
- ???
- Elle est belle, Lena, n'est-ce pas? Tu la touche pas, d'accord, elle est à moi!
- Arrête, Maxime, t'es con, (que je lui dis), d'abord c'est pas vrai, on sort pas ensemble.
- Tu sais jouer au foot, Portugais? (Là, ça me soûle, Maxime m'ignore!)
- Un peu.
- Ben va falloir faire tes preuves au cours de gym. On veut pas de mauviettes dans notre classe.
- Maxime, dégage! Tu nous étouffes!, je crie presque.
- T'énèrve pas Lena, je fais juste un peu d'intimidation. Et puis, je le prépare à notre classe, je suis sympa non?
- Ca va, casse-toi!
Il part, non sans nous avoir jeter un coup d'œil ironique et moqueur. Je soupire. Maxime, il est cool quand il veut. Mais c'est un leader, il aime être au centre du monde, des attentions de tout le monde. Et aujourd'hui, c'est pas vraiment le cas. Et puis, j'ai pas vraiment aimé la façon dont il m'a parlé. Je le connais depuis tout petit, Max, on a grandit ensemble, c'était mon premier amoureux, mais il ne m'a encore jamais parlé sur ce ton, et pourtant c'est pas la première fois que je dîne avec un beau mec….Maxime sera toujours mon petit Maxime à moi, on a partagé trop de choses pour que je le zappe de mon esprit d'un coup! Faudra que je lui explique ça…
- Jaloux?
- Qui Maxime? Ouais je pense. Mais bon c'est normal. Tu viens d'arriver et tout le monde parle de toi. Avant tout le monde parlait de Maxime. Maintenant, il doit accepter qu'il est plus tout seul. Que des autres gens existent aussi, des gens à qui on peut s'intéresser, tout comme on peut s'intéresser à lui, à toi…Tu comprends?
- Sì.
- T'es fort en gym?
- Peu. J'aime beaucoup.
- Tu fais du foot?
- Avant oui. A Lisboa.
- Tu pourras en faire aussi ici si tu veux. Je te présenterai l'entraîneur, c'est mon frère.
- Et toi?
- Quoi? Si je fais du foot? Oui, je joue aussi.
- Ici?
- Oui, dans l'équipe de l'école. On a gagné le championnat la saison passée.
- Bravo.
- Merci.
- A Lisboa, je jouer au Benfica.
- Quoi? La grande équipe?
- Non. Junior. Tu connais?
- Qui ne connaît pas le Benfica? (je lui souris). Le club d'Eusebiò! Et 31 fois champion du Portugal, le Benfica! C'est pas rien comme club! Mais je connais pas plus….
Manuel me sourit. Ouais, je suis désolée, j'ai pas pu me retenir…Quand on parle foot, je me lâche! J'aime le foot, j'en sais un rayon, sans tout savoir toutefois, et je suis toujours en quête de nouvelles infos…
Notre repas est vite avalé, nous sortons dans le parc, derrière l'école, prendre l'air. Le sujet de discussion tourne encore autour du foot, mais ça ne me déplaît pas. Puis retentit la première sonnerie. C'est l'heure de retourner au bâtiment central, pour les cours. La bousculade est énorme dans les couloirs. Je ne comprends pas ces gens impatients de se retrouver sur les bancs de l'école. Oh! Moi je resterais bien toute ma vie sans école! Sans problème! |
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